15 décembre 2021

Anne-Marthe Hydrographe XIX

Ou Des Aventures de Nounouche en Sibérie   

 

L'année 2022 est déjà bien lancée, et toujours pas de bilan sur l'année 2021 ? 

À peine 2 articles pour décrire l'An 2 de l'Ère Covid !! 

Pas une mention sur les 10 ans de ce blog ?? (créé en plein Web 2.0 alors que nous en serions déjà au Web 4.0, vous pardonnerez donc l'organisation et la mise en page un peu désuètes auxquelles je tenterai de remédier un jour de pluie...)

Les étudiants sont-ils si occupés de nos jours ?!? 

En fait, les horaires light de la fac sont-elles un mythe ?!? 

Je ne me lancerai pas dans ce débat aussi épineux que le pass vaccinal, mais antidaterai cet article pour mettre les archives à jour...

 

 

Nous nous étions quittés à la toute fin du mois de juin : je venais de finir mes stages et les vacances d'été commençaient. 

Alors :

- j'ai bien validé mes deux premières années de master (le LEA et le FLE), ouf !

- j'ai reçu une réponse positive pour un éventuel stage de fin d'études (vous devriez en savoir plus très prochainement) 

- mais surtout, j'ai trouvé un super job d'été : Boskalis m'a réengagée pour deux mois...

 



Passons les gros moments de stress et les pics d'organisation (le visa, les contrats, qui prend les risques que tout s'annule au dernier moment pour raison Covid ou autre - moi bien sûr !, le vaccin, la quarantaine...) qui ponctuèrent la totalité du mois de juin et les deux premières semaines de juillet (je suis suivie par un cardiologue depuis) pour nous concentrer sur le fun

Pourquoi aller cartographier la Méditerranée (ou à la limite la Mer du Nord) avec un vrai bateau de survey alors que je pourrais faire des levés hydrographiques avec une drague de 150 mètres de long à l'autre bout de la planète ?

Car il est certes beaucoup plus sympa de se mettre des défis (n'oublions cependant pas que faire preuve de logique géographique n'est pas le point fort de Boskalis), mais peut-être aussi parce que :

 


1. Mon collègue Roman (et compagnon de soirée à Carthagène) en avait ras-le-bol de bosser depuis deux mois alors qu'on lui avait promis "une mission courte, deux semaines au plus..." 

 

2. Prendre un vol domestique de 8 heures après deux vols internationaux de 1h30 et 3 heures, c'est improbable...


3. ...mais pas autant que devoir faire trois PCR sur un seul trajet car le transport est si long que les résultats des tests périment en cours de route (oui-oui, j'en ai fait trois : un à Chambé avant de partir, un à Moscou pendant l'escale et un à Ioujno à l'arrivée !)


4. Savoir qu'il existe une ville qui s'appelle Ioujno-Sakhalinsk, c'est classe ! 

 

Ioujno-Sakhalinsk, juillet 2021

 

5. Comprendre que la distanciation physique est un concept relatif, c'est utile, tout comme réaliser que cinq jours de quarantaine stricte et des gestes barrières dûment respectés (pour sauver le soldat Roman) peuvent être ruinés dès le début d'un voyage (cf. les salles d'embarquement bondées de Moscou ou la cabine d'un train de nuit partagée avec trois inconnus)

 

6. Prendre ce "transsakhalinien" qui date sûrement d'avant Staline, de nuit, avec des potes de cabine (vaccinés au Spoutnik aurait-il semblé), ça n'a pas de prix !

 

Train Ioujno-Nogliki, juillet 2021

7. Aussi parce que découvrir le Prins, l'une des plus grosses dragues de Boka, fer de lance de la flotte avec le Queen, ça vaut le coup. C'est, jusqu'à présent, le bateau le plus confortable sur lequel j'ai travaillé ! 

Quitte à être bloquée en mer, autant que ça soit ici : la bouffe est bonne, l'équipage est cool, les cabines sont spacieuses, le gymnase est grand et il y a même un bar avec grand écran et des téras de films. Les philippins tiennent des années ici (et de toute façon, avec leur système de deux semaines de quarantaine à chaque voyage inter-île, autant qu'ils restent bosser s'ils ne veulent pas passer leurs vacances en isolement...)

 

8. Faire ma première mission freelance dans un environnement familier, c'est un luxe : on connaît toujours du monde et on reprend vite ses habitudes. 

 


Mais en vrai, à quoi ressemblait cette mission ???

Voici une petite sélection de photos dans le traditionnel album commenté :


 

 

Évidemment, tout n'a pas été rose : les responsabilités furent plus grandes que prévu, je suis rentrée avec presqu'un mois de retard (j'ai donc loupé trois semaines de cours et les retrouvailles au bar, damnit!), le voyage retour fut épuisant (12 heures rien que pour descendre du Prins et rallier la côte) et la reprise des cours encore plus (10 semaines embarquées sont normalement suivies de 10 semaines de repos, ça n'est pas pour rien, les Pays-Bas n'étant pas connus pour leurs congés payés...) Mais on trouvera difficilement un meilleur job d'été pour une étudiante !

Loin de me plaindre, je me considère plutôt extrêmement chanceuse d'avoir accès à de telles opportunités et envisage de continuer ces petites missions ponctuellement lorsque cela m'est possible : quoi de mieux qu'un break en mer et des mesures hydros pour se remettre d'un ou deux semestres de cours (pris ou donnés d'ailleurs) ?

Le plus drôle dans tout ça fut peut-être ma reprise à la fac. Revoir mes potes après presque six mois d'interruption (entre les partiels, les stages et les "vacances" prolongées) m'a fait très plaisir, de même qu'être l'objet de leur admiration (candide et infondée) pour ma "mission" (qui ne pouvait être qu'humanitaire pour une étudiante en ACAH). 

Lorsque j'ai ironiquement expliqué avoir aidé Poutine à mieux extraire "son" gaz naturel pour nous le vendre au prix fort cet hiver, je me suis alors souvenue qu'il n'y a pas loin du Capitole à la Roche Tarpéïenne...

 

 
 
 
 

30 juin 2021

Fac, Zoom, masques, coloc' & pyjamas : une année universitaire par temps de Covid (Round 1)

Étonnamment, ce blog n'a pas fait preuve d'une grande prolixité ces derniers mois. Il faut dire que les voyages exotiques n'ont guère le vent en poupe (sauf chez les Berguet) et que, malgré les apparences, la vie d'étudiante prend du temps et de l'énergie. 

Je profite d'un petit vol plané à vélo (qui m'oblige à rester tranquille quelques jours à la maison) pour mettre de l'ordre dans mes photos et faire part des dernières news de la Rue de Roche.

Car il s'est passé un tas de choses décapantes depuis mon retour des Maldives ! À commencer par des vacances (je n'ai pas tant changé que ça finalement) en Champagne et une rentrée universitaire (ras-le-bol des tests PCR, je vais donc me poser à Chambé un an ou deux le temps que ça passe, et tant qu'à faire, autant rentabiliser l'expérience en tentant deux masters : je ne savais pas lequel choisir, ça stimule l'intellect et peut toujours servir...)

[bien sûr, les raisons étaient beaucoup plus nombreuses et un chouïa plus profondes, mais pour la faire courte, c'était un peu ça...]

Sans grande surprise après un été débridé, j'ai profité du campus de Jacob quelques semaines puis l'ai très vite remplacé par mon salon. Rien de mieux qu'un PC de 10 ans (RIP Tante Edwige) et notre tabouret de cuisine pour suivre des journées de parfois 11 heures de cours à distance (le 8h-20h du mercredi m'a particulièrement marquée, et ma coloc' aussi...)

Diana ayant été au chômage partiel pendant plus de sept mois, nous avons choisi de faire un détour par la Bretagne (au nom des grands espaces et de l'isolation phonique, chimères des étudiants isolés et des salariés désœuvrés) et même Oyonnax (pour un mariage polono-ivoirien), c'est vous dire à quel point Diana affine ses connaissances géographiques en vue d'une potentielle naturalisation !

Une fois mes dossiers rendus et partiels achevés, j'ai commencé mon stage début mai, tout en profitant des ponts avec Diana, toujours dispo (merci Manu). 

Mon stage était à l'étranger bien entendu, mais vous serez sûrement autant étonnés que moi : pas besoin de passeport ni de visa pour donner des cours dans les Hauts de Chambéry !

Voici donc quelques potins et des photos sur cette année scolaire 2020/2021 un peu particulière.

 

1. Champagne !

Après plus de 11 semaines de mission l'été dernier, quelques jours en (et verres de) Champagne avec Diana et Milou (ma pote avocate chez Boskalis) m'ont remise sur pieds.



Les photos sont 

>>>>> ICI <<<<<


2. La thèse de Millou !!!

Le 21 septembre 2020, c'était ma rentrée, mais tant qu'à reprendre des études, autant le faire comme il faut : en séchant dès le début.

Car ce jour-là, le système éducatif français se soulagea d'un enfant Ruitton-Allinieu. Dommage, Mimi sortit par la grande porte avec des félicitations tandis que je rentrai par la fenêtre, le couteau entre les dents.

11 ans pour conclure ce qui avait commencé en coloc' à Brest sous un coaching efficace : 

" Tu as un an pour réussir parce que l'année prochaine, je pars à Helsinki (et tu devras vivre toute seule ici sous la pluie et sans amis). "

 

Brest, avril 2010. Mimi révise pour sa P1.

À vos souhaits !

 

Mimi féministe !


♥ Entre nanas ♥


3. Ma rentrée des classes

Diana-la-Chouchoute obéit à Maman : impossible d'échapper à la traditionnelle photo de rentrée ! 




Top les cours à Jacob : on voit du monde, c'est à 15 minutes à pied, les salles ont vue sur le lac... 

Dommage, ça n'a duré qu'un mois :



Malgré tout, j'ai adoré cette expérience. Certes, les journées complètes en distanciel peuvent être violentes, mais la différence entre choisir ou subir un cours est phénoménale.

Des théories linguistiques ou d'apprentissage des langues aux enjeux du Brexit, de la politique latino-américaine des 30 dernières années à la décolonisation de l'Inde, en passant par la construction et le fonctionnement de l'Union Européenne ou de l'Organisation Internationale de la Francophonie... L'approfondissement de ces thèmes, dont beaucoup sont nouveaux pour moi, m'a clairement passionnée.

Bien sûr, mes poteaux ingés qui sauvent le monde avec des solutions techniques (il en faut, continuez les gars, ne lâchez rien!) me diront : à quoi ça sert ? Tu pouvais aussi prendre un livre et apprendre ça toute seule. Certes. Seulement, moi, je suis paresseuse, et j'aime bien qu'on m'explique :

 

En gros, ça me servira surtout à faire la maline aux prochains repas de famille... mais en plus, je me sens mieux et épanouie. Ça compte aussi ça, non ?

 

4. Diana et le TCF

Diana aussi était studieuse : après avoir développé ses talents pour les plats chauds tout l'automne, elle a suivi pendant quelques jours un stage en pâtisserie à la Chambre de Métiers et de l'Artisanat à Technolac. Depuis, les fourneaux ont surchauffé au point que Maman a dû congeler des gâteaux ! Une première dans l'histoire familiale.

Mais ce qui occupa surtout notre inca savoyarde préférée, ce sont des exercices d'entraînement en ligne pour préparer le fameux Test de Connaissance du Français, Graal des candidats à la résidence et à la naturalisation.

 

Niveaux validés en avril 2021 au delà de ses espérances !!!

 

5. Début de l'hiver à Chambé

Nous avons pu égayer l'hiver en profitant d'une nuit offerte dans un petit hôtel sympa de la Presqu'île de Lyon (merci Avianca) pour jeter un œil au Grand Hôtel Dieu rénové et fêter la nouvelle année. Bien sûr, les conditions restaient contraignantes : retour à la chambre imposé à 20 heures, impossibilité de s’asseoir nulle part pour un petit-déj... Mais changer d'air, même pour une seule nuit, valait la sortie.

 

La Croix du Nivolet, le 5 décembre 2020.

Un week-end prolongé aux Deux Alpes, avec au programme un peu de ski de rando et beaucoup de CV à envoyer, m'a aussi fait le plus grand bien.




Pas top la peau qui se détache au bout d'une heure de grimpe. Les loueurs ont été pris de court face à la demande cette année. Je n'ai donc pas fait la fine bouche devant la dernière paire disponible de la station.

6. Les cours en Zoom depuis Penmarc'h

Mais notre hiver a surtout été breton.

Car il faut admettre que le distanciel a quelques avantages : la machine à café à portée de main, faire pipi quand on en a envie, rester en pyj et grosses chaussettes toute la journée, se faire nourrir par Diana... voire même délocaliser les activités aux Deux Alpes ou à Penmarc'h (en respectant le couvre-feu bien entendu : moins de 11 heures pour Chambé / Saint Gué avec une vieille Seat pleine à craquer : qui dit mieux ?)

Les avantages étaient nombreux : plusieurs pièces, petit jardin, pas de masque à l'extérieur... mais aussi (et surtout) : voir régulièrement les Quenet, manger du poisson frais, prendre l'apéro avec Mme Lelay, se balader sur la plage avec Coco et David, faire du surf dans de l'eau à 9 degrés de temps en temps...

Diana a apprécié écouter sa musique quand bon lui semblait, faire du feu, se balader sans masque, jardiner et bricoler dans la crèche, découvrir Quimper... Elle s'est surtout mis le quartier dans la poche en partageant tous ses gâteaux. Il faut dire que le four tourne souvent lorsqu'un chef est désœuvré.

Et en plus : il a neigé !

 

 


 Quelques photos

>>>>> ICI <<<<<

 

7. Le mariage de Natalia et Abou

La cérémonie eut lieu en mars 2021 dans la fameuse Plastics Vallée, par un temps magnifique. Une belle journée en petit comité et aux saveurs très ivoiriennes ! 
 
La pauvre élue, qui célébrait son premier mariage ("pour moi aussi c'est le premier" avait répondu Natalia, un poil stressée) et a dû, en sus, prononcer les noms complets et les lieux de naissance des mariés et des témoins, se rappellera sûrement de cette célébration toute sa vie.  
 
 


Diana était témoin !

Mariage Covid = Mariage Masqué, mais mariage quand même !


8. Escapades

Lorsque les mesures sanitaires se sont un peu allégées, les virées ont pu reprendre : j'ai profité d'une journée à Dunkerque pour ne pas perdre une certification nécessaire au travail en mer (et garder sous le coude un boulot d'été, sait-on jamais) pour visiter le tout nouvel appart' de Petit Bichon à Coye-la-Forêt et marcher sur les quais de Seine avec MoH (seule option lorsqu'il ne pleut pas - trop - et que les bars, les restaus, les musées... sont fermés).

Les ponts du mois de mai ont été particulièrement appréciés pour revoir les cousins dans les Hautes-Alpes et des amis au Grand-Bornand (c'est fou comme ne plus bouger tout le temps favorise les retrouvailles).

La réouverture des terrasses à Chambé eut les mêmes effets qu'une annonce "open-bar" dans une soirée d'inté d'ingés : même ceux qui ne boivent jamais y sont allés.

Enfin, j'ai pu retrouver des potes de promo et reprendre ma vraie vie d'étudiante : petites bières en happy hour, payées par quelques cours particuliers, en potinant sur les profs et les partiels avec, en fond, les matchs de l'Euro... what else ?

Pour la première fois, Diana et moi avons célébré la fête de la musique, ensemble et à Chambéry. L'ambiance était extra et l'équipe improbable : potes de fac (filières FLE et LEA confondues), colocs et ex-collègues, on a pris tout le monde pour une tournée des bars entre les scènes de la ville...

Le lendemain, j'ai renoué avec les salles de ciné en allant voir Montagne en Scène avec Jade et Rémi. J'ai appris qu'il est possible de skier dans des pentes rocheuses à 55 degrés et de dormir en pleine paroi dans des portaledges. De nouvelles perspectives qui plairaient à Maman.


Chamois du Grand-Bornand, mai 2021.


 Dédicace à Patouchou : le Grand-Bornand est jumelé avec Quiberon
(et ils l'ont symbolisé avec une coiffe bigoudène, ça craint...)
 
Chèvres en vue !

Chalet traditionnel paré pour les avalanches

Réouverture des terrasses : la team FLE en piste au Café du Théâtre !

 
Les cascades du Cirque de Saint Même restent la réf'
pour un dimanche tranquille entre amis et sans pression.
 

Vous aurez reconnu les jeunes mariés !

9. La famille s'agrandit !

Belle annonce printanière (et complètement inattendue pour certains ^^) lorsque nous fêtions les annis de Mimi et Alexis : Crapounette (ça changera peut-être, ils ne sont pas encore bien sûrs du nom) viendra agrandir la famille en novembre.

Chambéry, le 8 mai 2021.

Maminette semble très heureuse à l'idée de devenir arrière-grand-mère.

 

10. FLE, LEA, ACAH... quésaco ?

Petite mise au point pratique pour les courageux qui auront lu jusqu'ici.

Les masters sont des diplômes d'État que l'on prépare en deux ans. Ils valident 5 ans d'études supérieures et sont ouverts aux personnes titulaires d'une licence (Bac+3). 

Mimi n'a pas 2.2 masters mais un doctorat.

FLE veut dire Français Langue Étrangère, donc un master FLE permet de devenir prof de langue française. Cet enseignement de relève pas de l'Éducation Nationale. Donc rien à voir avec les lettres modernes et le CAPES de français que Zouzou est en train de passer.

LEA signifie Langues Étrangères Appliquées. C'est une branche de la fac qui vise la maîtrise de deux langues étrangères en contexte professionnel. Après une licence LEA, on peut poursuivre ses études dans un parcours de spécialisation. L'Université Savoie Mont Blanc propose, entre autres, le parcours ACAH pour Analyse de Crises et Action Humanitaire : en plus de cours de langue et civilisation (j'ai pris anglais et espagnol), on acquiert quelques bases en économie, relations internationales, méthodologies d'analyse de conflits, gestion de projet, etc. dans le contexte particulier de la solidarité internationale.

Le master FLE exige un stage de 100 heures en fin de première année. J'en ai profité pour découvrir les ateliers sociolinguistiques proposés par deux associations chambériennes (BLÉ et La CSF). J'y suis allée en vélo quatre jours par semaine pendant les mois de mai et juin, et renouer avec un emploi du temps et du contact humain m'a fait le plus grand bien.

Mémoire rendu la semaine dernière. Résultats mi-juillet. Les vacances peuvent donc enfin commencer !

N'oubliez pas que L'Arbre à Bières a ré-ouvert, qu'ils prennent les élefs, et qu'on trouve difficilement mieux pour une session potins et mises à jour après cette année si particulière.

En attendant, bon été à tous, profitez bien et vaccinez-vous !

 

21 janvier 2021

Anne-Marthe Hydrographe XVIII

Ou Des Aventures de Nounouche aux Maldives

 

Non, ce blog n'est pas mort, et j'ai toujours autant de choses à (me) raconter. Seulement voilà, le temps passe vite, le travail, c'est prenant, peser le pour et le contre entre un bon boulot et une reprise d'études intéressantes mais aux perspectives d'avenir moins prometteuses, aussi, une rentrée universitaire et se faire des nouveaux copains d'école, pareil... 

Et puis il y a aussi les avantages professionnels, comme par exemple un bon ordi, à rendre, tandis que les nouvelles machines mettent du temps à être livrées (des chaînes de production à l'arrêt m'a-t-on dit...)

Et les études, ça occupe, les périodes de fin d'année aussi... 

Oulala, mais il s'est passé tout ça ?!? 



Alors reprenons. Nous en étions au printemps 2020. Diana et moi profitions du déconfinement, lorsqu'une ou deux semaines après la fin officielle de mes congés (j'étais alors en stand by), une collègue m'appela pour me proposer une mission sauvetage : venir la remplacer. 

Problème : le pays est fermé. Ah.

Mais Boskalis gère : "On va affréter un bateau pour y envoyer une méga-équipe de relève (c'est plus facile de gruger en bateau qu'en avion)..." Nickel. 

Autre soucis : "Tu peux donc venir, mais sans savoir quand tu pourras rentrer..." Bon. 

Ça sera quoi, 5 mois au pire ? J'avais le droit de refuser bien sûr, mais quand on a la chance de pouvoir travailler par les temps qui courent (et que l'aventure a l'air originale) (et qu'on envisage de raccrocher bientôt) (ça serait un finish de toute beauté!) (et que Diana allait reprendre le boulot aussi de son côté)... Bref... let's go !!

 

 

Alors autant vous le dire tout de suite, l'histoire est un peu longue, et pas nécessairement intéressante pour tout le monde. Si vous voulez donc passer directement aux photos, c'est ICI.

Pour les autres, ceux qui lisent couramment, qui ont une heure de libre, un café et rien de plus intéressant à faire, je vous propose un petit voyage dans le temps, en partageant une expérience de travail en temps de pandémie. 

Mon cas fut loin d'être unique : de nombreux marins se sont retrouvés coincés, sur leur bateau ou à leur domicile, pendant de nombreux mois (une situation plutôt commune autrefois, mais devenue inacceptable depuis la démocratisation du transport aérien - de nos jours, être embarqué plus de 6 semaines est considéré comme long...)

 

Le voyage

J'ai donc quitté Chambéry le dimanche 31 mai 2020 (avec une belle attestation tamponnée dans tous les sens et de beaux justificatifs car nous n'étions pas totalement déconfinés à l'époque!) en covoit' avec Petit Bichon qui me déposa (après un bon dîner chez Pascale et Corentin) dans un hôtel quasi désert et en service minimum près de Charles De Gaulle. 

Le lendemain, je partis aux Pays-Bas me faire tester et me reconfiner dans une autre chambre d'hôtel. Le service y était, une nouvelle fois, minimal : interdiction de sortir de sa chambre + repas constitués de sandwichs déposés sur le palier comme en prison (une prison confortable avec wifi tout de même). Le soir était le meilleur moment de la journée attendu par tous : nous avions droit à un plat chaud, miam-miam ! J'y suis restée 3 jours (il fallait attendre presque 48 heures pour avoir les résultats d'un test PCR à l'époque...) 

Le mercredi (date de réouverture des restaus en France!) soir, tout le monde sortit de sa chambre (mais Grand Dieu, je n'étais donc pas seule dans cet hôtel abandonné ?!?) pour prendre des navettes (pas plus de deux passagers par van) pour Schiphol (une ville fantôme), où un vol charter à destination de Prague (plein de carburant) puis Ras al-Khaïmah (un émirat des Émirats Arabes Unis) nous attendait.

 

Mais qu'y a-t-il donc à RAK ? 

Tout simplement plein de chantiers navals privés (des yards). Boskalis en a un, où dorment quelques bateaux et son gros matos. Lorsque les lignes de pompage (flottantes ou terrestres, voir mon album sur le chantier de Mombasa pour un petit cours en images sur la construction d'un polder), les containers, les grosses pompes, les remorqueurs, les godets, etc. sont en stand by (entre deux projets) ou ont besoin de réparation, ils se retrouvent tous ici. Il faut dire que ce centre logistique a une localisation idéale pour expédier le matériel aux quatre coins du monde dès qu'un contrat est signé.

À RAK donc, nous attendait le beau et fier Komodo, un remorqueur habituellement déployé pour des missions de plongée (similaire au DSV Constructor sur lequel j'avais travaillé en 2016) mais qui était disponible et fut affecté au projet des Maldives pour quelques semaines.

 

Le Komodo
 

Pardon... aux Maldives ?

Et oui ! Aux Maldives. Cet archipel paradisiaque perdu dans l'Océan Indien. Boskalis y avait décroché un contrat : une île à créer à côté de Malé, la capitale surpeuplée où chaque mètre carré vaut de l'or. L'idée est donc d'utiliser un lagon immergé comme "base", le couvrir de quelques mètres de sable pour lui faire dépasser le niveau de la mer, faire ainsi apparaître une nouvelle surface exploitable, et ensuite délocaliser les activités portuaires de Malé sur cette nouvelle île.

Une équipe de Boskalis avait donc été envoyée à l'automne 2019 pour mettre en place tout ça. Du sable avait été repéré pas trop loin au nord et une des dragues (les gros aspis comme le Waterway ou le Willem van Oranje) sera mise à disposition. 

Tout allait bien jusqu'à ce que deux touristes italiens contaminent des employés d'un resort (ces hôtels souvent paradisiaques qui font la réputation du pays) début mars. La maladie s'est alors répandue comme une traînée de poudre et un confinement généralisé fut déclaré le 15 avril. 

L'équipe boka, qui avait senti le vent tourner, s'était vu offerte quelques jours plus tôt la possibilité d'un rapatriement. Un petit malin rentra en Hollande fissa fissa (il n'était parti qu'avec quelques semaines de son traitement médical introuvable à Malé) tandis que les autres préférèrent tenir le fort, sans vraiment savoir pour combien de temps...

Mais on a beau aimer son métier et travailler pour la gloire, 5 mois confinés et surtout sans savoir quand le pays sera ré-ouvert, les transports rétablis, la relève disponible... c'est long et angoissant. 

D'où la mission de secours organisée en interne (la réouverture de l'aéroport étant impossible à prévoir) : tout le monde se retrouve à RAK, on grimpe sur le Komodo et hop! c'est parti pour une croisière sur la Mer d'Arabie. 

Aaaaah l'Arabie, le charme du désert, le détroit d'Ormuz, Goa, la côte de Malabar... ça fait rêver, non ?!?


Alors laissez-moi vous décrire le contexte : arrivés à RAK au petit matin (après une "nuit" masquée avec interdiction de se lever dans un avion moyen-courrier monocouloir bordé de 2 rangées de 3 sièges sans écran), nous sommes accueillis par le représentant local de Boskalis puis re-testés (sans ménagement aucun, mon nez est resté douloureux pendant plusieurs jours) avant d'être invités à patienter dans des mini-bus, nos valises empilées autant que faire se peut (une vraie colonie de vacances).

Transférés vers les douanes (pour l'entrée dans le pays), nous repatientons dans les bus avant d'être contraints à descendre. Quelques valises sont contrôlées, les visas de transit validés, puis revérifiés, puis revalidés, puis recontestés, puis renégociés... 

Enfin, le transfert vers le yard de Boskalis est approuvé ! Au bout d'une petite demi-heure, le mini-bus est à nouveau arrêté. Il s'agit maintenant de passer les douanes pour quitter le pays. Les valises sont recheckées. Énième attente. Il fait (très) chaud et poussiéreux. Le manque de sommeil commence à se faire sentir. 

Enfin, lorsque tous les feux sont au vert pour embarquer sur le Komodo, il est environ 16 heures. Nous sommes accueillis par l'équipage (eux-aussi coincés, depuis plusieurs mois déjà, et sans aucun espoir de rentrer chez eux dans un futur proche, leurs pays - les Philippines et la Russie - étant eux aussi fermés...)

Après une rapide présentation du bateau et la répartition des cabines (seule fille, je suis privilégiée et dispose de ma propre chambre avec douche mais une clim' bloquée à 15 degrés... glaglagla!), la corne de brume se fait entendre...

Nous quittâmes RAK le jeudi 4 juin vers 18 heures, pour soi-disant 5 ou 6 jours de navigation. C'était sans compter sur une sacrée tempête qui nous obligea à longer les côtes indiennes (au lieu de prendre un cap direct et "couper tout droit"). Résultat : nous aperçûmes Malé le 13 juin. 

 

 

Ça n'était donc pas 5 jours (ce que m'avait promis ma collègue Cicilia au téléphone mi-mai) mais bien 8 bien tassés. Je vous avais déjà dit que je suis sujette au mal de mer, non ? Donc exit la lecture, la salle de sport, les films et autres loisirs... ou du moins chaque activité ne pouvait jamais durer très longtemps. 

Imaginez-vous avec un léger mal de tête permanent doublé d'envies furtives de vomir, mais en fait non, d'une sensation de faim, finalement repoussée par l'odeur de la cuisine (pourtant bien tenue), d'un désir grandissant de s'allonger (au froid) dans ma cabine, mais cela coûtera le prix fort : être secouée comme un prunier à cause des mouvements du bateau (curieusement, on ne dort pas dans un grand huit...)

Envie de me sociabiliser avec mes futurs collègues ? Pourquoi pas ! Seulement, le mal de mer n'est pas seulement physique, mais aussi, voire surtout, psychique. En d'autres termes, je n'étais clairement pas disposée à de longues conversations. Et le premier à me suggérer d'être heureuse d'aller travailler après presque 8 semaines à la maison, ou encore à me demander comment je comptais organiser mon boulot entre le bureau à Malé et le site du chantier à Gulhifalhu, se serait pris un cinglant (les deux personnages illustrent tout-à-fait mon ressenti, le mal de mer rendant aussi bipolaire) :

 


Mes journées étaient donc rythmées par quelques messages WhatsApp (nous avions un poil de connexion via un système satellitaire), un peu de sport pendant les accalmies, beaucoup d'épisodes (entrecoupés car fixer un écran plus de 30 minutes consécutives relevait du challenge) d'Avenida Brasil, les repas (LES grands moments de la journée), et l'envoi de notre position à Cicilia chaque matin pour maintenir le moral de la troupe maldivienne. C'est tout.

Plus nous naviguions, plus je commençais à douter de ma légitimité à reprendre le flambeau du département survey : entre Cicilia usée, lassée, confinée et travaillant depuis 4 ou 5 mois, et moi qui ne dormait plus vraiment depuis 9 nuits, il ne serait sûrement pas si simple d'établir laquelle d'entre nous serait la plus à même de travailler efficacement...

D'autant plus qu'atteindre les eaux du port de Malé n'était pas synonyme de "débarquement immédiat" :

Primo : nous n'étions qu'une bande de pirates. Le pays était fermé. Pour tous. Et ça n'était pas parce que des petits malins hollandais pouvaient feinter les aéroports avec leurs bateaux qu'ils avaient plus le droit d'être là.

 

 

Secundo : même si notre client est le ministère des infrastructures et avait négocié une sorte de passe-droit auprès de son homologue de l'immigration, dédouaner un bateau-pirate, ça prend au moins 24 heures.

 

 

Le débarquement officiel de la relève pirate sur Gulhifalhu, notre île, celle que Boskalis avait commencé à faire surgir des eaux transparentes du lagon quelques semaines plus tôt, eut lieu le dimanche 14 juin 2020. 

Nous fûmes accueillis avec une joie incommensurable par l'équipe en place depuis l'ère pré-Covid et la relève ultra-urgente arrivée avec le Fairway (un des plus gros aspis de Boskalis) deux semaines plus tôt. 

La passation de pouvoir pouvait enfin commencer (on notera mon début de travail effectif plus de deux semaines après avoir quitté la maison ; cette crise a considérablement modifié le rapport au temps).

Ce dimanche-là, le Fairway pompa pour la première fois (un moment clé sur un chantier de ce type).

Mais attention : débarquer à Gulhifalhu, "notre" île, sans le dire à personne, était facile. Seulement, officiellement, les Maldives étaient confinées, et les déplacements inter-île interdits. Il fallut donc encore remuer ciel et terre aux ministères pour l'organisation d'un deuxième débarquement : celui des "cadres" à Malé (là où se trouvait le bureau). Celui-ci eut lieu trois jours plus tard.

 

L'équipe se divisa alors en deux :

  • D'un côté, l'équipe isolée qui travaillait sur le chantier et dormait soit sur le Komodo, soit dans un hôtel de Vilingili (une île voisine), trois zones sans covid (covid-free)
  • De l'autre, le personnel invité à rejoindre une Malé infectée pour travailler confiné depuis le bureau ; j'ai nommé les directeurs de projet, chiefs surveyors, comptables et responsable HSE (hygiène - sécurité - environnement)

 

Les conséquences n'étaient pas anodines et impliquaient un contact extrêmement limité (seulement si nécessaire à l'avancement du projet) entre les membres de deux équipes "adverses", afin que les maléens ne contaminent pas les autres :


Un hôtel-resort sur une île rurale sans voiture mais donnant sur le quai (devenu très bruyant une fois la liaison maritime avec Malé - toute proche - rétablie)
vs
Un immeuble résidentiel avec un appart au 7e et le bureau au 9e 


La possibilité de marcher et de prendre l'air tous les jours toute la journée
vs
Monter ou descendre les escaliers de l'immeuble en respirant un air conditionné


Une carte de restau bonne mais limitée (imaginez la ras-le-bol au bout de 2 mois à tourner sur les 5 ou 6 mêmes plats midi et soir...)
vs
La possibilité de faire ses courses selon ses propres envies de temps en temps
 
 
Quelqu'un qui cuisine pour vous
vs 
À vous les fourneaux ! (pas toujours enviable après des journées de 12-14 heures)


Des horaires lourds et contraints (12 heures sur l'île, les trajets île-hôtel sur son temps de repos)
vs
Une gestion libre de son temps (pauses-pipi sur ses propres toilettes et la possibilité enthousiasmante de travailler au bureau jusqu'à 22 heures sans soucis)


Un footing de 2 km maxi pour faire le tour de l'île de Vilingili
vs
5.5 km pour le tour de Malé (possible une fois le confinement terminé et en respectant un couvre-feu)
 
 

Quoi qu'il en soit, ça n'était pas à la carte. Vous aurez donc pressenti que j'eus la chance de connaître Malé et ne pus me rendre à Gulhifalhu qu'une petite dizaine de fois jusqu'à mon départ le 16 août.

 

La bulle maléenne

Seulement, notre arrivée ne rima pas avec libération pour les insulaires. Le pays étant toujours fermé, il leur fallut attendre un vol officiel de rapatriement vers l'Europe, orchestré par les autorités gouvernementales via le Sri Lanka et Londres, pour pouvoir quitter ce petit coin de paradis.

Les deux équipes ont donc cohabité pendant une bonne semaine, ce qui rendit plus confortable la transmission d'informations mais donna également lieu à des dialogues impromptus : les insulaires souhaitaient rentrer chez eux pour "vivre" tandis que la relève pirate, désabusée, savait que ce "vivre chez eux" avait changé et impliquait dorénavant quarantaines, tests PCR, port du masque, restrictions (à tous niveaux : déplacements, offres des commerces, activités possibles, jauges...), une presse monothématique rabâchant chaque minute les mêmes données, un climat de crainte pesant, une situation sociale qui s'effondre sous nos yeux... bref, rien de bien enthousiasmant pour de véritables vacances.

Une dure alternative se profilait pour les pirates : devions-nous briser des rêves ou faire confiance à la pédagogie de l'erreur ? Personnellement, quand je m'apprête à servir un plat de croziflette sans l'avoir sorti du four moi-même, j'aime bien qu'on me prévienne qu'il soit brûlant. J'ai l'impression qu'on ne veut que je me brûle (c'est plutôt sympa et attentionné), mais aussi d'être prise pour une quiche... Alors, on froisse ou on attend ?


Team Insulaire

"L'escale à Londres était horrible, tout était fermé, Heathrow était une ville phantôme, c'était hyper angoissant, on s'est retrouvés à manger un Burger King assis par terre dans le lobby d'un hôtel d'aéroport désert..."

 

Team Pirate

"Euh... vous vous attendiez à quoi ? On a fait la même chose pour venir ici. Certains l'ont même fait deux fois : rapatriement d'un ancien projet pour raison sanitaire + redéploiement vers un nouveau projet dans des conditions similaires + une bonne partie du repos entre les 2 missions en confinement + bonus : 9 jours de vomi !"

 

(avis journalistique non-biaisé) 


Clairement, le monde avait changé. Les insulaires semblaient avoir été en quelque sorte "protégés" par une bulle (une bulle-prison, certes, mais une bulle-protectrice malgré tout) maléenne en pensant que la quitter leur rendrait leur vie d'avant. Les pirates semblaient de leur côté avoir compris que cette vie d'avant ne reviendrait pas avant... longtemps.


La bulle maléenne vue par...

...les insulaires rêveurs

...les pirates désabusés

Chacun pensait que ce qu'il avait vécu était pire que ce qui l'attendait. Et personne ne se rendait vraiment compte du temps que cela prendrait (bon... 7 mois plus tard, en janvier 2021, nous ne sommes pas beaucoup plus avancés...) pour retravailler "comme avant". Ce dont nous étions certains, c'est que les quarantaines liées aux voyages avaient des conséquences organisationnelles fortes sur nos métiers : 

 

Partir travailler un jour J

impliquait ne pouvoir commencer à véritablement travailler qu'au bout d'une quarantaine de 14 jours, soit à J + 2 semaines.

Après une rotation classique de 6 semaines, le retour est donc prévu à J + 8 semaines.

Dans de nombreux pays, une quarantaine de 2 semaines sera préconisée ou obligatoire. Les "vraies" vacances pourront donc enfin commencer, à J + 10 semaines depuis votre dernier départ, et à J - 2 semaines du prochain. 

Dommage, avant de voyager, une semaine d'autoconfinement est obligatoire (politique interne de l'entreprise).

Profitez donc bien de ces 7 jours de congé, calés entre 2 blocs de 10 semaines contraintes (de boulot en théorie...)

 

Et quand bien même cela ne poserait pas de problème au travailleur (je connais certains spécimens qui vivent de leur boulot et enchaînent des rotations bien plus longues par choix et amour du dragage), comment dédommager ? L'employé doit-il sacrifier ses congés-payés ? L'employeur doit-il prendre en charge les quarantaines ("après tout, le mec est chez lui et voit ses mômes, c'est pas mal quand même..." dirait sûrement Jeff) ?

Boskalis compta sur le volontarisme de ses troupes et fit tourner la planche à billets (en serrant les fesses pour que la situation ne s'éternise pas). Chaque projet est traité au cas par cas et une équipe spécialisée fut montée pour organiser les transferts de personnel.

Bien sûr qu'il y a pire, et que ce rythme reste sûrement bien meilleur que les conditions d'emploi de beaucoup d'esclavesindiens au Moyen-Orient. 

Mais la thérapie du "ça pourrait être pire" ne m'a jamais vraiment satisfaite. Selon moi, trop de relativité pousse à l'acceptation puis à la passivité. 

Si on avait dit à Gandhi "Laisse tomber le sel dude, contente-toi du curry", l'Inde serait peut-être encore britannique (et le Royaume-Uni n'aurait probablement jamais intégré l'UE).

 

Bref. Lorsque les insulaires réalisèrent que leurs congés se résumeraient à des quarantaines et des apéros à la maison (et non à Curaçao), et que les pirates comprirent rapidement que leur travail aux Maldives serait du boulot-dodo sans aucune bière fraîche pour décompresser certains soirs, les perspectives d'avenir se révélèrent particulièrement maussades...

 


 La carotte

Les pirates avaient cependant un élément de motivation non-négligeable : la bière promise. 

Mais il faut avant-tout réaliser que les Maldives forment un pays musulman et que l'islam est la religion d'État. Autrement dit, un maldivien a autant de chance d'intégrer le mot laïcité qu'un breton la locution beurre doux. En fait, pour avoir un passeport maldivien, il faut tout simplement être musulman. 

Même si ce manque de liberté individuelle est affligeant et dramatique pour les locaux, l'objet de ce commentaire porte sur les conséquences (bien plus légères) pour les occidentaux travaillant à Malé : un sommeil léger entrecoupé d'appels à la prière et une absence totale d'alcool aux menus. 

Outre un soulagement inattendu pour mon foie (qui se remettait doucement d'un confinement arrosé), cette dernière répercussion eut un effet "carotte" particulièrement efficace :

- "Le 1er juillet, le bar de l'aéroport (seul bar de Malé autorisé à vendre de l'alcool) rouvrira et nous irons tous y boire un coup pour fêter notre premier mois d'aventure..." 
[à mon départ en août, ce bar était toujours fermé] 

- "Le 15 juillet, les resorts réouvriront, nous irons au Hard Rock Café !" 
[le Hard Rock Hotel n'ouvrit son bar-restaurant que pour ses résidents et n'autorisa aucun visiteur en provenance de Malé]

- "À partir du 31, les gens de Malé seront autorisés aux voyages inter-îles" 
[pas très très vrai]

- ...

Notre seul espoir résidait, encore une fois, en une solution interne : les canettes de San Miguel du Fairway, qui en délivra un petit stock clandestinement sur Gulhifalhu un soir de barbecue (évènement totalement illégal organisé par les chefs de chantier pour remercier des pauvres bougres touchés par la grâce : après plusieurs mois à manger du sable, ils venaient de recevoir un billet d'avion pour rentrer chez eux...)

 


Ma vie à Malé

Malé est une ville surprenante improbable. En fait, vues de loin, les Maldives sont improbables. Il faut zoomer à l'infini pour arriver à enfin les apercevoir sur une carte :

 


 

On parle de 500.000 personnes réparties sur 200 des 1.200 îles d'un archipel de l'Océan Indien. 

Ancien protectorat britannique d'Asie du Sud, les Maldives acquièrent leur indépendance en 1965.

Les maldiviens parlent le dhiveli, une langue indo-aryenne à l'alphabet particulier, le thanaa, dont nous connaissons tous un mot : atoll.

 


La capitale Malé est une des villes les plus densément peuplées au monde.

Chaque recoin est construit. Tout y est minuscule : les rue(lle)s, les immeubles (hauts mais très étroits), les ascenseurs (des monte-charges), les portes... les maldiviens eux-mêmes en fait (ce qui explique la taille des portes du coup).

Seules quelques "avenues" permettent une circulation des véhicules à double-sens (attention, l'avenue Pravaz reste deux fois plus large que Majeedhee Magu). Les autres rues sont en fait des ruelles permettant la circulation de scooters uniquement : si une rangée de 2-roues est en stationnement sur un côté, un piéton qui emprunte cette rue la bloquera complètement ; les scooters et autres passants derrière ce piéton gênant devront alors patiemment attendre le prochain carrefour pour que ledit piéton puisse se décaler et laisser les autres usagers le dépasser. La file indienne dure quelques dizaines de secondes qui pourraient sembler longues et gênantes pour des parisiens excités, mais que tout le monde accepte ici (et met à profit pour vérifier son téléphone portable). 


Photo aérienne de Malé en 2017 (Wikipedia)

 

Les paradoxes 

  • L'île principale de la ville de Malé mesure 2 km de long pour 1 km de large. Des distances parfaites à parcourir à pied. La pollution de l'air et la superficie limitée sont des préoccupations majeures. Pourquoi cette invasion de scooters ? 
  • Tout est importé (sauf le poisson évidemment).
  • 90 % des recettes fiscales de l'État et le quart du PIB viennent du tourisme. Sacré déséquilibre et dépendance tragique que la pandémie a cruellement rappelés.
  • Un paradis certes, mais touristique seulement.

 

Et maintenant ?

 

Les aberrations de cette période, comme :

 

  • L'angoisse permanente de savoir si, et si oui, quand la relève viendra

 

Les obstacles sont en effet très nombreux : 

1. trouver le collègue volontaire, 

2. qui aura un PCR négatif, 

3. un vol maintenu, 

4. un visa correct (cf. notre balle de ping-pong aux 1000 airmiles Josco),

5. puis réciproquement, avoir son propre vol maintenu,

6. un RDV disponible pour un test PCR dans les 72 heures qui précèdent le départ,

7. ce test PCR négatif,

8. son visa de marin/pirate tacitement accepté par un officier d'immigration gentil et compréhensif en droit de nous inviter à prolonger notre séjour en cellule

[ autant vous dire que j'ai commencé à me détendre qu'une fois assise dans mon Ouibus ]

 

  • Une passion soudaine pour le FLE à Jacob
 
  • Rêver d'aller au ciné
 
  •  ...

 

...sont à se raconter de vive voix dès que l'Arbre à Bières réouvrira.

J'espère que vous êtes toujours réveillé.e.s et vous laisse en compagnie de quelques photos pour illustrer tout ça. Elles sont commentées (si les explications ne sont pas visibles, cliquez sur le i entouré en haut à droite).

Bon voyage !

>>> ALBUM ICI <<<

Sources images

https://www.dehokseberg.nl/wp-content/uploads/2015/01/needyou.png 
http://petitemimine.centerblog.net/rub-gifs-texte-expression-petits-mots-2--9.html
http://fr.web.img3.acsta.net/medias/nmedia/18/35/08/28/affiche.jpg
https://www.trailandhitch.com/shiny-bubbles-insulating-your-trailer-with-radiant-barriers/
http://blog.maldivescomplete.com/wp-content/uploads/979ac4d4b69f_A3DC/Finolhu---bubble-deck.jpg
http://chapitre.com/chapitre/fr/book/royer-alain-baudry-emmanuel/jojo-lapin-et-la-cartte-magique,652188.aspx